L'intelligence artificielle est-elle créative ?

L'intelligence artificielle est-elle créative ?

L'intelligence artificielle est-elle créative ?

L'intelligence artificielle est-elle créative ?

L’intelligence artificielle fait une entrée remarquée dans l’environnement de la communication. Voilà un signal faible qui brusquement nous interrompt. Il se passe quelque chose.

Le sujet me fait immédiatement penser aux nombreuses tentatives de définition du propre de l’homme en comparaison avec les animaux. On a pensé que la fabrication et l’usage d’outils pourraient être le marqueur décisif de notre humanité. Et nous avons découvert qu’oiseaux, fourmis, chimpanzés, loutres… savaient aussi les créer et s’en servir. On a pensé que ce pourrait être le rire. Or il se trouve que certains primates sont sensibles à une forme d’humour. Les émotions ? Mais non, les animaux sont sociaux et sensibles. Ils témoignent de leur affection ou de leur souffrance par de nombreux moyens. Alors que reste-t-il ? La spiritualité, la liberté de s’extraire du flux naturel, ou la créativité.

Or voilà que l’intelligence artificielle vient nous concurrencer sur la créativité. Nous qui nous honorons d’exercer un métier créatif, chez Nouvelle Vague comme ailleurs, nous sommes interloqués de constater qu’un système numérique, peut-être demain quantique, reposant sur des algorithmes, puisse s’approcher de notre faculté créative.

Qu’entendons-nous par faculté créative ? C’est selon moi, notre faculté à d’abord nous représenter le monde puis à l’interpréter.

À la suite d’Arthur Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation, je pense que nous ne nous représentons pas le monde en soi, tel qu’il est dans toutes ses dimensions, mais tel que nous le voyons, avec les yeux de notre subjectivité, de notre histoire, ou encore de nos émotions et de notre culture. Nous nous représentons ce qui nous est donné dans l’espace et le temps et produisons des signes qui nous permettent de nous entendre et de communiquer à son propos.

Partant de ces représentations que l’on pourrait qualifier de banales ou communes sans que ce soit péjoratif, nous pouvons produire un effort supplémentaire de refiguration du réel : c’est alors un exercice créatif. L’art de mettre en lumière, d’ajouter du mystère ou de la profondeur, l’art de rendre beau, esthétique voire sublime des objets, des événements ou des personnes. Il peut s’agir aussi, comme dans tout récit, de l’art de donner du sens à des événements épars et chaotiques. Il s’ajoute alors à la couche de représentation commune, une couche supplémentaire, une couche d’interprétation artistique et narrative, qui refigure et réagence les représentations communes en représentations nouvelles qui donnent du sens : des représentations éclairées pour le journalisme, désirables et attractives pour la publicité, interrogatives pour l’art.

Chaque regard ajoute à la représentation spontanée qui est toujours déjà culturelle, convenons au moins de cela, une interprétation nouvelle qui revisite le réel. Le reportage journalistique nous instruit, la publicité nous surprend ou nous émeut, le récit propose un sens aux événements réels ou fictifs, l’art nous confond, nous étonne, nous plonge dans un abîme de questions.

Résumons : nous nous représentons le monde “réel” avec les yeux de notre culture. Nous l’interprétons avec l’angle de notre regard :

  • soit un angle journalistique et réaliste qui a pour ambition de rendre compte du réel,

  • soit un angle publicitaire qui navigue entre le réel et l’imaginaire, avec pour ambition de capter l’attention, séduire et convaincre,

  • soit un angle narratif, qui ajoute un sens en reliant des données chaotiques,

  • soit un angle imaginaire libéré de l’ajustement commun au réel, qui a l’ambition de mettre en mouvement nos âmes, de pousser notre esprit à s’interroger sur lui-même.

Dans la publicité, le récit et l’art, trois activités aux desseins différents et par endroits convergents, l’interprétation imaginaire ajoute une part d’artifice. Une dimension artificielle dans le sens où elle est produite par l’homme. Par opposition à naturel, qui est produit par la nature. Comprenons bien que par artificiel, nous ne retenons pas le sens d’une chose qui ne serait pas conforme à la réalité et manquerait de naturel.

Nous arrivons au fait : l’intelligence artificielle vient-elle concurrencer les actions de l’homme qui comportent elles-mêmes une couche artificielle ?

La réponse est oui, par le seul fait d’un raisonnement logique. Les algorithmes sont produits par l’homme. Ils sont donc artificiels. Les algorithmes sont conçus pour mimer la capacité de l’homme à ajouter une couche artificielle au monde, à la fin de se le représenter et de l’interpréter.

Maintenant que nous nous sommes entendus sur le sens des mots et des choses : peut-on co-créer avec une IA ?

Assurément oui. Il n’y a aucune raison qui permettrait de penser le contraire. L’intelligence artificielle mimant la faculté de l’homme à ajouter de l’artifice aux données brutes du monde, ajoute à son tour une part d’artifice à travers le processus orienté de l’algorithme. L’intelligence artificielle est capable d’artifice, comme l’intelligence humaine en est capable.

Arrêtons-nous un instant sur le mot “artifice” avant d’observer les tests. (Cf. Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française du génial Alain Rey et de son équipe)
Artifice vient de l’indo-européen “ars” dont le champ sémantique est relié au haut du bras et à l’épaule, au fait humain en général, aux mœurs, à la faculté de mettre de l’ordre, d’articuler, d’arranger. Ce qui relie cette racine à l’arithmétique, aux nombres d’un côté et de l’autre à l’habileté, au talent et à l’art jusqu’à artifice (artificium) qui évoque la technique mais aussi la ruse, d’où le sens d’un artificiel trompeur en bout de ligne.

Nous pourrions disserter une année entière sur l’histoire troublante de ce mot qui lui fait relier l’épaule, le bras libre de l’homme, à l’ordre, au nombre et à l’art. Comme si le passage de l’intelligence humaine à l’intelligence artificielle y était inscrit depuis l’origine.

Nos artifices peuvent être clairs et lisibles comme dingues et mystiques. Raison et folie sont notre apanage. Je suppose que ce devrait être également celui de l’intelligence artificielle. Testons.

Tests de GPT-3

Je me suis concentré sur la capacité de l’intelligence artificielle à produire du sens à partir de quelques mots, ou d’un début de phrase ou d’un message avec un sens, avec une bonne dose de français, mais pas que.

C’est une vraie surprise. L’intelligence artificielle explore les possibilités comme mon cerveau pourrait le faire. L’idée n’est pas de comparer ce que vous auriez produit à partir des mêmes données avec la production de l’IA. Je me contente d’abord de constater que quelque chose a été produit.

À partir de 4 mots, l’IA tricote une histoire et me suggère un site web qui n’existe pas. Cette histoire ne m’intéresse pas, mais je suis bluffé par le quelque chose à partir de trois fois rien.

Quatre nouveaux mots et l’IA dérape. Sentiment d’être à la fin de 2001 l’Odyssée de l’espace. Incontrôlable. Folie de l’IA. Je prie pour n’être jamais gouverné par une IA. Personne ne peut jurer qu’aucun bug ne surviendra.

Seconde chance : 4 nouveaux mots en “harmonie” qui pourraient susciter une inspiration. Ouch ! Ça dérape dur… mon IA m’inquiète.

Changeons de méthode. Une idée simple convertie en micro-histoire. Une chose m’étonne : la faculté de l’IA à accorder le sentiment de bien-être avec la faculté de “faire une différence dans le monde”. C’est une pensée qui s’est ajoutée.

Le début d’un pitch qui se transforme en véritable récit. Un navet soporifique mais qui respecte des règles basiques du récit : un commencement, un déroulement, une fin.

Une proposition simple… une réponse courte. Oh oh oh mon IA est fatiguée. Peut vraiment mieux faire.

Avant dernier essai. Une phrase dont le sens n’est pas si évident. L’IA opère la bonne déduction. La proposition est poétique. La déduction de l’IA est logique. Si cet homme appartient à son paysage c’est qu’il a vécu toute sa vie dans ce village.

Alors, une IA peut-elle être créative ?

Elle l’est par nature.
La nature de l’Intelligence artificielle est d’être créative. Elle mime la faculté de l’homme à l’être. Elle est artificielle. Donc elle est créative.

Est-ce que l’IA sera votre nouvelle collègue ?

Je pense qu’elle s’imposera comme une collègue supplémentaire. Nous nous servirons de son pouvoir exploratoire sans nous couper du nôtre. Elle pourra nous aider à associer des idées, à relier des représentations auxquelles nous n’aurions pas pensé. Elle s’intégrera dans notre processus d’idéation comme le smartphone est devenu notre sixième sens. Parfois nous la trouverons géniale, d’autre fois stupide, complètement folle ou juste trop raisonnable.

Parfois on la branchera. D’autre fois on la débranchera.

J’ai envie de vous dire : tout va bien tant que nous pouvons encore la débrancher.

HC

Manuel Cornet

Date de publication

29 nov. 2022

Durée de lecture

10

minutes

L’intelligence artificielle fait une entrée remarquée dans l’environnement de la communication. Voilà un signal faible qui brusquement nous interrompt. Il se passe quelque chose.

Le sujet me fait immédiatement penser aux nombreuses tentatives de définition du propre de l’homme en comparaison avec les animaux. On a pensé que la fabrication et l’usage d’outils pourraient être le marqueur décisif de notre humanité. Et nous avons découvert qu’oiseaux, fourmis, chimpanzés, loutres… savaient aussi les créer et s’en servir. On a pensé que ce pourrait être le rire. Or il se trouve que certains primates sont sensibles à une forme d’humour. Les émotions ? Mais non, les animaux sont sociaux et sensibles. Ils témoignent de leur affection ou de leur souffrance par de nombreux moyens. Alors que reste-t-il ? La spiritualité, la liberté de s’extraire du flux naturel, ou la créativité.

Or voilà que l’intelligence artificielle vient nous concurrencer sur la créativité. Nous qui nous honorons d’exercer un métier créatif, chez Nouvelle Vague comme ailleurs, nous sommes interloqués de constater qu’un système numérique, peut-être demain quantique, reposant sur des algorithmes, puisse s’approcher de notre faculté créative.

Qu’entendons-nous par faculté créative ? C’est selon moi, notre faculté à d’abord nous représenter le monde puis à l’interpréter.

À la suite d’Arthur Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation, je pense que nous ne nous représentons pas le monde en soi, tel qu’il est dans toutes ses dimensions, mais tel que nous le voyons, avec les yeux de notre subjectivité, de notre histoire, ou encore de nos émotions et de notre culture. Nous nous représentons ce qui nous est donné dans l’espace et le temps et produisons des signes qui nous permettent de nous entendre et de communiquer à son propos.

Partant de ces représentations que l’on pourrait qualifier de banales ou communes sans que ce soit péjoratif, nous pouvons produire un effort supplémentaire de refiguration du réel : c’est alors un exercice créatif. L’art de mettre en lumière, d’ajouter du mystère ou de la profondeur, l’art de rendre beau, esthétique voire sublime des objets, des événements ou des personnes. Il peut s’agir aussi, comme dans tout récit, de l’art de donner du sens à des événements épars et chaotiques. Il s’ajoute alors à la couche de représentation commune, une couche supplémentaire, une couche d’interprétation artistique et narrative, qui refigure et réagence les représentations communes en représentations nouvelles qui donnent du sens : des représentations éclairées pour le journalisme, désirables et attractives pour la publicité, interrogatives pour l’art.

Chaque regard ajoute à la représentation spontanée qui est toujours déjà culturelle, convenons au moins de cela, une interprétation nouvelle qui revisite le réel. Le reportage journalistique nous instruit, la publicité nous surprend ou nous émeut, le récit propose un sens aux événements réels ou fictifs, l’art nous confond, nous étonne, nous plonge dans un abîme de questions.

Résumons : nous nous représentons le monde “réel” avec les yeux de notre culture. Nous l’interprétons avec l’angle de notre regard :

  • soit un angle journalistique et réaliste qui a pour ambition de rendre compte du réel,

  • soit un angle publicitaire qui navigue entre le réel et l’imaginaire, avec pour ambition de capter l’attention, séduire et convaincre,

  • soit un angle narratif, qui ajoute un sens en reliant des données chaotiques,

  • soit un angle imaginaire libéré de l’ajustement commun au réel, qui a l’ambition de mettre en mouvement nos âmes, de pousser notre esprit à s’interroger sur lui-même.

Dans la publicité, le récit et l’art, trois activités aux desseins différents et par endroits convergents, l’interprétation imaginaire ajoute une part d’artifice. Une dimension artificielle dans le sens où elle est produite par l’homme. Par opposition à naturel, qui est produit par la nature. Comprenons bien que par artificiel, nous ne retenons pas le sens d’une chose qui ne serait pas conforme à la réalité et manquerait de naturel.

Nous arrivons au fait : l’intelligence artificielle vient-elle concurrencer les actions de l’homme qui comportent elles-mêmes une couche artificielle ?

La réponse est oui, par le seul fait d’un raisonnement logique. Les algorithmes sont produits par l’homme. Ils sont donc artificiels. Les algorithmes sont conçus pour mimer la capacité de l’homme à ajouter une couche artificielle au monde, à la fin de se le représenter et de l’interpréter.

Maintenant que nous nous sommes entendus sur le sens des mots et des choses : peut-on co-créer avec une IA ?

Assurément oui. Il n’y a aucune raison qui permettrait de penser le contraire. L’intelligence artificielle mimant la faculté de l’homme à ajouter de l’artifice aux données brutes du monde, ajoute à son tour une part d’artifice à travers le processus orienté de l’algorithme. L’intelligence artificielle est capable d’artifice, comme l’intelligence humaine en est capable.

Arrêtons-nous un instant sur le mot “artifice” avant d’observer les tests. (Cf. Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française du génial Alain Rey et de son équipe)
Artifice vient de l’indo-européen “ars” dont le champ sémantique est relié au haut du bras et à l’épaule, au fait humain en général, aux mœurs, à la faculté de mettre de l’ordre, d’articuler, d’arranger. Ce qui relie cette racine à l’arithmétique, aux nombres d’un côté et de l’autre à l’habileté, au talent et à l’art jusqu’à artifice (artificium) qui évoque la technique mais aussi la ruse, d’où le sens d’un artificiel trompeur en bout de ligne.

Nous pourrions disserter une année entière sur l’histoire troublante de ce mot qui lui fait relier l’épaule, le bras libre de l’homme, à l’ordre, au nombre et à l’art. Comme si le passage de l’intelligence humaine à l’intelligence artificielle y était inscrit depuis l’origine.

Nos artifices peuvent être clairs et lisibles comme dingues et mystiques. Raison et folie sont notre apanage. Je suppose que ce devrait être également celui de l’intelligence artificielle. Testons.

Tests de GPT-3

Je me suis concentré sur la capacité de l’intelligence artificielle à produire du sens à partir de quelques mots, ou d’un début de phrase ou d’un message avec un sens, avec une bonne dose de français, mais pas que.

C’est une vraie surprise. L’intelligence artificielle explore les possibilités comme mon cerveau pourrait le faire. L’idée n’est pas de comparer ce que vous auriez produit à partir des mêmes données avec la production de l’IA. Je me contente d’abord de constater que quelque chose a été produit.

À partir de 4 mots, l’IA tricote une histoire et me suggère un site web qui n’existe pas. Cette histoire ne m’intéresse pas, mais je suis bluffé par le quelque chose à partir de trois fois rien.

Quatre nouveaux mots et l’IA dérape. Sentiment d’être à la fin de 2001 l’Odyssée de l’espace. Incontrôlable. Folie de l’IA. Je prie pour n’être jamais gouverné par une IA. Personne ne peut jurer qu’aucun bug ne surviendra.

Seconde chance : 4 nouveaux mots en “harmonie” qui pourraient susciter une inspiration. Ouch ! Ça dérape dur… mon IA m’inquiète.

Changeons de méthode. Une idée simple convertie en micro-histoire. Une chose m’étonne : la faculté de l’IA à accorder le sentiment de bien-être avec la faculté de “faire une différence dans le monde”. C’est une pensée qui s’est ajoutée.

Le début d’un pitch qui se transforme en véritable récit. Un navet soporifique mais qui respecte des règles basiques du récit : un commencement, un déroulement, une fin.

Une proposition simple… une réponse courte. Oh oh oh mon IA est fatiguée. Peut vraiment mieux faire.

Avant dernier essai. Une phrase dont le sens n’est pas si évident. L’IA opère la bonne déduction. La proposition est poétique. La déduction de l’IA est logique. Si cet homme appartient à son paysage c’est qu’il a vécu toute sa vie dans ce village.

Alors, une IA peut-elle être créative ?

Elle l’est par nature.
La nature de l’Intelligence artificielle est d’être créative. Elle mime la faculté de l’homme à l’être. Elle est artificielle. Donc elle est créative.

Est-ce que l’IA sera votre nouvelle collègue ?

Je pense qu’elle s’imposera comme une collègue supplémentaire. Nous nous servirons de son pouvoir exploratoire sans nous couper du nôtre. Elle pourra nous aider à associer des idées, à relier des représentations auxquelles nous n’aurions pas pensé. Elle s’intégrera dans notre processus d’idéation comme le smartphone est devenu notre sixième sens. Parfois nous la trouverons géniale, d’autre fois stupide, complètement folle ou juste trop raisonnable.

Parfois on la branchera. D’autre fois on la débranchera.

J’ai envie de vous dire : tout va bien tant que nous pouvons encore la débrancher.

HC

Manuel Cornet

Date de publication

29 nov. 2022

Durée de lecture

10

minutes

L’intelligence artificielle fait une entrée remarquée dans l’environnement de la communication. Voilà un signal faible qui brusquement nous interrompt. Il se passe quelque chose.

Le sujet me fait immédiatement penser aux nombreuses tentatives de définition du propre de l’homme en comparaison avec les animaux. On a pensé que la fabrication et l’usage d’outils pourraient être le marqueur décisif de notre humanité. Et nous avons découvert qu’oiseaux, fourmis, chimpanzés, loutres… savaient aussi les créer et s’en servir. On a pensé que ce pourrait être le rire. Or il se trouve que certains primates sont sensibles à une forme d’humour. Les émotions ? Mais non, les animaux sont sociaux et sensibles. Ils témoignent de leur affection ou de leur souffrance par de nombreux moyens. Alors que reste-t-il ? La spiritualité, la liberté de s’extraire du flux naturel, ou la créativité.

Or voilà que l’intelligence artificielle vient nous concurrencer sur la créativité. Nous qui nous honorons d’exercer un métier créatif, chez Nouvelle Vague comme ailleurs, nous sommes interloqués de constater qu’un système numérique, peut-être demain quantique, reposant sur des algorithmes, puisse s’approcher de notre faculté créative.

Qu’entendons-nous par faculté créative ? C’est selon moi, notre faculté à d’abord nous représenter le monde puis à l’interpréter.

À la suite d’Arthur Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation, je pense que nous ne nous représentons pas le monde en soi, tel qu’il est dans toutes ses dimensions, mais tel que nous le voyons, avec les yeux de notre subjectivité, de notre histoire, ou encore de nos émotions et de notre culture. Nous nous représentons ce qui nous est donné dans l’espace et le temps et produisons des signes qui nous permettent de nous entendre et de communiquer à son propos.

Partant de ces représentations que l’on pourrait qualifier de banales ou communes sans que ce soit péjoratif, nous pouvons produire un effort supplémentaire de refiguration du réel : c’est alors un exercice créatif. L’art de mettre en lumière, d’ajouter du mystère ou de la profondeur, l’art de rendre beau, esthétique voire sublime des objets, des événements ou des personnes. Il peut s’agir aussi, comme dans tout récit, de l’art de donner du sens à des événements épars et chaotiques. Il s’ajoute alors à la couche de représentation commune, une couche supplémentaire, une couche d’interprétation artistique et narrative, qui refigure et réagence les représentations communes en représentations nouvelles qui donnent du sens : des représentations éclairées pour le journalisme, désirables et attractives pour la publicité, interrogatives pour l’art.

Chaque regard ajoute à la représentation spontanée qui est toujours déjà culturelle, convenons au moins de cela, une interprétation nouvelle qui revisite le réel. Le reportage journalistique nous instruit, la publicité nous surprend ou nous émeut, le récit propose un sens aux événements réels ou fictifs, l’art nous confond, nous étonne, nous plonge dans un abîme de questions.

Résumons : nous nous représentons le monde “réel” avec les yeux de notre culture. Nous l’interprétons avec l’angle de notre regard :

  • soit un angle journalistique et réaliste qui a pour ambition de rendre compte du réel,

  • soit un angle publicitaire qui navigue entre le réel et l’imaginaire, avec pour ambition de capter l’attention, séduire et convaincre,

  • soit un angle narratif, qui ajoute un sens en reliant des données chaotiques,

  • soit un angle imaginaire libéré de l’ajustement commun au réel, qui a l’ambition de mettre en mouvement nos âmes, de pousser notre esprit à s’interroger sur lui-même.

Dans la publicité, le récit et l’art, trois activités aux desseins différents et par endroits convergents, l’interprétation imaginaire ajoute une part d’artifice. Une dimension artificielle dans le sens où elle est produite par l’homme. Par opposition à naturel, qui est produit par la nature. Comprenons bien que par artificiel, nous ne retenons pas le sens d’une chose qui ne serait pas conforme à la réalité et manquerait de naturel.

Nous arrivons au fait : l’intelligence artificielle vient-elle concurrencer les actions de l’homme qui comportent elles-mêmes une couche artificielle ?

La réponse est oui, par le seul fait d’un raisonnement logique. Les algorithmes sont produits par l’homme. Ils sont donc artificiels. Les algorithmes sont conçus pour mimer la capacité de l’homme à ajouter une couche artificielle au monde, à la fin de se le représenter et de l’interpréter.

Maintenant que nous nous sommes entendus sur le sens des mots et des choses : peut-on co-créer avec une IA ?

Assurément oui. Il n’y a aucune raison qui permettrait de penser le contraire. L’intelligence artificielle mimant la faculté de l’homme à ajouter de l’artifice aux données brutes du monde, ajoute à son tour une part d’artifice à travers le processus orienté de l’algorithme. L’intelligence artificielle est capable d’artifice, comme l’intelligence humaine en est capable.

Arrêtons-nous un instant sur le mot “artifice” avant d’observer les tests. (Cf. Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française du génial Alain Rey et de son équipe)
Artifice vient de l’indo-européen “ars” dont le champ sémantique est relié au haut du bras et à l’épaule, au fait humain en général, aux mœurs, à la faculté de mettre de l’ordre, d’articuler, d’arranger. Ce qui relie cette racine à l’arithmétique, aux nombres d’un côté et de l’autre à l’habileté, au talent et à l’art jusqu’à artifice (artificium) qui évoque la technique mais aussi la ruse, d’où le sens d’un artificiel trompeur en bout de ligne.

Nous pourrions disserter une année entière sur l’histoire troublante de ce mot qui lui fait relier l’épaule, le bras libre de l’homme, à l’ordre, au nombre et à l’art. Comme si le passage de l’intelligence humaine à l’intelligence artificielle y était inscrit depuis l’origine.

Nos artifices peuvent être clairs et lisibles comme dingues et mystiques. Raison et folie sont notre apanage. Je suppose que ce devrait être également celui de l’intelligence artificielle. Testons.

Tests de GPT-3

Je me suis concentré sur la capacité de l’intelligence artificielle à produire du sens à partir de quelques mots, ou d’un début de phrase ou d’un message avec un sens, avec une bonne dose de français, mais pas que.

C’est une vraie surprise. L’intelligence artificielle explore les possibilités comme mon cerveau pourrait le faire. L’idée n’est pas de comparer ce que vous auriez produit à partir des mêmes données avec la production de l’IA. Je me contente d’abord de constater que quelque chose a été produit.

À partir de 4 mots, l’IA tricote une histoire et me suggère un site web qui n’existe pas. Cette histoire ne m’intéresse pas, mais je suis bluffé par le quelque chose à partir de trois fois rien.

Quatre nouveaux mots et l’IA dérape. Sentiment d’être à la fin de 2001 l’Odyssée de l’espace. Incontrôlable. Folie de l’IA. Je prie pour n’être jamais gouverné par une IA. Personne ne peut jurer qu’aucun bug ne surviendra.

Seconde chance : 4 nouveaux mots en “harmonie” qui pourraient susciter une inspiration. Ouch ! Ça dérape dur… mon IA m’inquiète.

Changeons de méthode. Une idée simple convertie en micro-histoire. Une chose m’étonne : la faculté de l’IA à accorder le sentiment de bien-être avec la faculté de “faire une différence dans le monde”. C’est une pensée qui s’est ajoutée.

Le début d’un pitch qui se transforme en véritable récit. Un navet soporifique mais qui respecte des règles basiques du récit : un commencement, un déroulement, une fin.

Une proposition simple… une réponse courte. Oh oh oh mon IA est fatiguée. Peut vraiment mieux faire.

Avant dernier essai. Une phrase dont le sens n’est pas si évident. L’IA opère la bonne déduction. La proposition est poétique. La déduction de l’IA est logique. Si cet homme appartient à son paysage c’est qu’il a vécu toute sa vie dans ce village.

Alors, une IA peut-elle être créative ?

Elle l’est par nature.
La nature de l’Intelligence artificielle est d’être créative. Elle mime la faculté de l’homme à l’être. Elle est artificielle. Donc elle est créative.

Est-ce que l’IA sera votre nouvelle collègue ?

Je pense qu’elle s’imposera comme une collègue supplémentaire. Nous nous servirons de son pouvoir exploratoire sans nous couper du nôtre. Elle pourra nous aider à associer des idées, à relier des représentations auxquelles nous n’aurions pas pensé. Elle s’intégrera dans notre processus d’idéation comme le smartphone est devenu notre sixième sens. Parfois nous la trouverons géniale, d’autre fois stupide, complètement folle ou juste trop raisonnable.

Parfois on la branchera. D’autre fois on la débranchera.

J’ai envie de vous dire : tout va bien tant que nous pouvons encore la débrancher.

HC

Manuel Cornet

Date de publication

29 nov. 2022

Durée de lecture

10

minutes

L’intelligence artificielle fait une entrée remarquée dans l’environnement de la communication. Voilà un signal faible qui brusquement nous interrompt. Il se passe quelque chose.

Le sujet me fait immédiatement penser aux nombreuses tentatives de définition du propre de l’homme en comparaison avec les animaux. On a pensé que la fabrication et l’usage d’outils pourraient être le marqueur décisif de notre humanité. Et nous avons découvert qu’oiseaux, fourmis, chimpanzés, loutres… savaient aussi les créer et s’en servir. On a pensé que ce pourrait être le rire. Or il se trouve que certains primates sont sensibles à une forme d’humour. Les émotions ? Mais non, les animaux sont sociaux et sensibles. Ils témoignent de leur affection ou de leur souffrance par de nombreux moyens. Alors que reste-t-il ? La spiritualité, la liberté de s’extraire du flux naturel, ou la créativité.

Or voilà que l’intelligence artificielle vient nous concurrencer sur la créativité. Nous qui nous honorons d’exercer un métier créatif, chez Nouvelle Vague comme ailleurs, nous sommes interloqués de constater qu’un système numérique, peut-être demain quantique, reposant sur des algorithmes, puisse s’approcher de notre faculté créative.

Qu’entendons-nous par faculté créative ? C’est selon moi, notre faculté à d’abord nous représenter le monde puis à l’interpréter.

À la suite d’Arthur Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation, je pense que nous ne nous représentons pas le monde en soi, tel qu’il est dans toutes ses dimensions, mais tel que nous le voyons, avec les yeux de notre subjectivité, de notre histoire, ou encore de nos émotions et de notre culture. Nous nous représentons ce qui nous est donné dans l’espace et le temps et produisons des signes qui nous permettent de nous entendre et de communiquer à son propos.

Partant de ces représentations que l’on pourrait qualifier de banales ou communes sans que ce soit péjoratif, nous pouvons produire un effort supplémentaire de refiguration du réel : c’est alors un exercice créatif. L’art de mettre en lumière, d’ajouter du mystère ou de la profondeur, l’art de rendre beau, esthétique voire sublime des objets, des événements ou des personnes. Il peut s’agir aussi, comme dans tout récit, de l’art de donner du sens à des événements épars et chaotiques. Il s’ajoute alors à la couche de représentation commune, une couche supplémentaire, une couche d’interprétation artistique et narrative, qui refigure et réagence les représentations communes en représentations nouvelles qui donnent du sens : des représentations éclairées pour le journalisme, désirables et attractives pour la publicité, interrogatives pour l’art.

Chaque regard ajoute à la représentation spontanée qui est toujours déjà culturelle, convenons au moins de cela, une interprétation nouvelle qui revisite le réel. Le reportage journalistique nous instruit, la publicité nous surprend ou nous émeut, le récit propose un sens aux événements réels ou fictifs, l’art nous confond, nous étonne, nous plonge dans un abîme de questions.

Résumons : nous nous représentons le monde “réel” avec les yeux de notre culture. Nous l’interprétons avec l’angle de notre regard :

  • soit un angle journalistique et réaliste qui a pour ambition de rendre compte du réel,

  • soit un angle publicitaire qui navigue entre le réel et l’imaginaire, avec pour ambition de capter l’attention, séduire et convaincre,

  • soit un angle narratif, qui ajoute un sens en reliant des données chaotiques,

  • soit un angle imaginaire libéré de l’ajustement commun au réel, qui a l’ambition de mettre en mouvement nos âmes, de pousser notre esprit à s’interroger sur lui-même.

Dans la publicité, le récit et l’art, trois activités aux desseins différents et par endroits convergents, l’interprétation imaginaire ajoute une part d’artifice. Une dimension artificielle dans le sens où elle est produite par l’homme. Par opposition à naturel, qui est produit par la nature. Comprenons bien que par artificiel, nous ne retenons pas le sens d’une chose qui ne serait pas conforme à la réalité et manquerait de naturel.

Nous arrivons au fait : l’intelligence artificielle vient-elle concurrencer les actions de l’homme qui comportent elles-mêmes une couche artificielle ?

La réponse est oui, par le seul fait d’un raisonnement logique. Les algorithmes sont produits par l’homme. Ils sont donc artificiels. Les algorithmes sont conçus pour mimer la capacité de l’homme à ajouter une couche artificielle au monde, à la fin de se le représenter et de l’interpréter.

Maintenant que nous nous sommes entendus sur le sens des mots et des choses : peut-on co-créer avec une IA ?

Assurément oui. Il n’y a aucune raison qui permettrait de penser le contraire. L’intelligence artificielle mimant la faculté de l’homme à ajouter de l’artifice aux données brutes du monde, ajoute à son tour une part d’artifice à travers le processus orienté de l’algorithme. L’intelligence artificielle est capable d’artifice, comme l’intelligence humaine en est capable.

Arrêtons-nous un instant sur le mot “artifice” avant d’observer les tests. (Cf. Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française du génial Alain Rey et de son équipe)
Artifice vient de l’indo-européen “ars” dont le champ sémantique est relié au haut du bras et à l’épaule, au fait humain en général, aux mœurs, à la faculté de mettre de l’ordre, d’articuler, d’arranger. Ce qui relie cette racine à l’arithmétique, aux nombres d’un côté et de l’autre à l’habileté, au talent et à l’art jusqu’à artifice (artificium) qui évoque la technique mais aussi la ruse, d’où le sens d’un artificiel trompeur en bout de ligne.

Nous pourrions disserter une année entière sur l’histoire troublante de ce mot qui lui fait relier l’épaule, le bras libre de l’homme, à l’ordre, au nombre et à l’art. Comme si le passage de l’intelligence humaine à l’intelligence artificielle y était inscrit depuis l’origine.

Nos artifices peuvent être clairs et lisibles comme dingues et mystiques. Raison et folie sont notre apanage. Je suppose que ce devrait être également celui de l’intelligence artificielle. Testons.

Tests de GPT-3

Je me suis concentré sur la capacité de l’intelligence artificielle à produire du sens à partir de quelques mots, ou d’un début de phrase ou d’un message avec un sens, avec une bonne dose de français, mais pas que.

C’est une vraie surprise. L’intelligence artificielle explore les possibilités comme mon cerveau pourrait le faire. L’idée n’est pas de comparer ce que vous auriez produit à partir des mêmes données avec la production de l’IA. Je me contente d’abord de constater que quelque chose a été produit.

À partir de 4 mots, l’IA tricote une histoire et me suggère un site web qui n’existe pas. Cette histoire ne m’intéresse pas, mais je suis bluffé par le quelque chose à partir de trois fois rien.

Quatre nouveaux mots et l’IA dérape. Sentiment d’être à la fin de 2001 l’Odyssée de l’espace. Incontrôlable. Folie de l’IA. Je prie pour n’être jamais gouverné par une IA. Personne ne peut jurer qu’aucun bug ne surviendra.

Seconde chance : 4 nouveaux mots en “harmonie” qui pourraient susciter une inspiration. Ouch ! Ça dérape dur… mon IA m’inquiète.

Changeons de méthode. Une idée simple convertie en micro-histoire. Une chose m’étonne : la faculté de l’IA à accorder le sentiment de bien-être avec la faculté de “faire une différence dans le monde”. C’est une pensée qui s’est ajoutée.

Le début d’un pitch qui se transforme en véritable récit. Un navet soporifique mais qui respecte des règles basiques du récit : un commencement, un déroulement, une fin.

Une proposition simple… une réponse courte. Oh oh oh mon IA est fatiguée. Peut vraiment mieux faire.

Avant dernier essai. Une phrase dont le sens n’est pas si évident. L’IA opère la bonne déduction. La proposition est poétique. La déduction de l’IA est logique. Si cet homme appartient à son paysage c’est qu’il a vécu toute sa vie dans ce village.

Alors, une IA peut-elle être créative ?

Elle l’est par nature.
La nature de l’Intelligence artificielle est d’être créative. Elle mime la faculté de l’homme à l’être. Elle est artificielle. Donc elle est créative.

Est-ce que l’IA sera votre nouvelle collègue ?

Je pense qu’elle s’imposera comme une collègue supplémentaire. Nous nous servirons de son pouvoir exploratoire sans nous couper du nôtre. Elle pourra nous aider à associer des idées, à relier des représentations auxquelles nous n’aurions pas pensé. Elle s’intégrera dans notre processus d’idéation comme le smartphone est devenu notre sixième sens. Parfois nous la trouverons géniale, d’autre fois stupide, complètement folle ou juste trop raisonnable.

Parfois on la branchera. D’autre fois on la débranchera.

J’ai envie de vous dire : tout va bien tant que nous pouvons encore la débrancher.

HC

Manuel Cornet

Date de publication

29 nov. 2022

Durée de lecture

10

minutes

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Stéphane Caoki

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